Les Amis des Mées
 Retour vers le bulletin 1986     Retour vers la page d'accueil 

Jean-Jacques ESMIEU

Bon nombre de personnes des Mées ont entendu parler de Jean-Jacques ESMIEU. Souvent cité par référence à son livre : "NOTICE HISTORIQUE ET STATISTIQUE DE LA VILLE DES MÉES" imprimé en 1803 chez FARJON à Digne, ce livre exceptionnel, outre l'histoire de notre commune (pour J.J. ESMIEU les documents anciens n'avaient aucun secret), nous restitue une image précise de ce pays, des gens, de leur façon de vivre et de travailler à la fin du XVIIIème siècle, tout cela accompagné de son jugement "révolutionnaire" et de ses pensées philosophiques.

 Notice de la Ville des Mées
"Les habitants des Mées sont exclusivement adonnés à l'agriculture. Or quand on dit d'un peuple qu'il est agricole, c'est en avoir crayonné les principaux traits : c'est-à-dire en peu de mots qu'il est sobre, laborieux, économe, peu recherché dans ses vêtements, simple dans ses manières, fuyant la dissipation, les jeux et les plaisirs bruyants. Conservez-les bien soigneusement, vertueux habitants de la campagne, cette simplicité dans vos vêtements, cette frugalité dans vos repas, cet amour du travail qui fait la base de votre caractère : le moment où vous perdrez ces belles qualités sera celui de votre malheur. N'enviez pas aux riches oisifs des grandes cités leur faste, leur or et leurs colifichets, tous ces besoins qu'ils se sont créés, les rendent cent fois plus pauvres et plus malheureux que vous. La vraie richesse consiste à savoir se contenter de peu, et à borner ses désirs." ( p. 215 à 220).

Jean-Jacques ESMIEU naquit aux MÉES en 1754, où son père était "bourgeois" possédant une propriété agricole. Il fit ses études au collège de RIEZ avec succès. À l'âge de 18 ans, son père l'envoya à Digne chez un procureur. "Son goût vif pour les belles-lettres, l'éloignant de l'étude des lois, il s'occupa de littérature et point du tout de chicane. La facilité étonnante qu'il avait à lire les vieux manuscrits lui fit embrasser une autre carrière. Il partit de Digne pour aller résider à Marseille. Dans cette ville, il était recherché par toutes les grandes familles de Provence pour faire leur généalogie. Mais ce travail qui n'est qu'un monument de la vanité humaine dégoûta bientôt notre jeune philosophe dont l'esprit indépendant ne pouvait pas se plier sous la morgue de ceux dont il dressait la généalogie."
"Dans ce temps là, l'abbé PAPON travaillait à L'HISTOIRE DE PROVENCE. Il entendit citer avec éloge le nom de M. ESMIEU. Il voulut le voir et l'entendre. Les hommes supérieurs se recherchent et se devinent par instinct. L'historien de Provence lui proposa de lui donner une récompense digne de ses talents, s'il voulait l'aider dans ses recherches historiques. Le jeune écrivain accepta l'honneur du travail et refusa le salaire qu'on lui offrait."

Là, la légende dépasse la réalité, voici ce qu'il écrivait à son frère le 10 mars 1782 : "Je dois aller avec le Père PAPON dans quelques temps d'ici en un endroit de la province pour l'histoire de Provence, m'ayant fait dire qu'il avait besoin de moi, mais cette fois-ci je ne serai plus si généreux et je me propose de recevoir mon juste salaire."

"Il accompagna l'abbé PAPON à Nice, à Toulon, à Avignon, à Aix et dans plusieurs autres villes du midi de la France. Il fut un de ses collaborateurs le plus assidu comme le plus savant. Aux approches de la révolution de 89, J.J. ESMIEU salua avec enthousiasme les premiers Payons de la liberté naissante."

Il fut nommé secrétaire-archiviste de la commune de Marseille, "Je m'empresse de vous faire part d'une nouvelle qui j'espère vous fera plaisir. La nouvelle municipalité de Marseille m'a déféré la place d'archiviste de la commune." (Lettre à son père du 6 mars 1790)

"Ce poste, qu'il occupa pendant 4 années, le plaça sur un théâtre où il fut facile au public de distinguer en lui le patriote pur et désintéressé d'avec l'homme qui n'en emprunte le masque que pour son avantage particulier. Cette place lui fournit l'occasion de rendre aux sciences et aux lettres un service très important. Il sauva du vandalisme de 93 le plus beau monument qui existe en Provence, ce sont les archives de l'ancienne abbaye de Saint-Victor-Les-Marseille, qui allaient devenir la proie des flammes. Il rendit ces documents précieux à la préfecture des Bouches-du-Rhône en 1817. Le Conseil Général de ce département, sous l'inspiration de M. de Villeneuve, alors préfet à Marseille, lui accorda une faible gratification de 1200 frs, pour le récompenser de sa belle conduite dans cette circonstance."

"Après l'entrée du Général CARTAUD à Marseille, M. ESMIEU fut accusé par les terroristes d'avoir des liaisons criminelles avec les fédéralistes et les conspirateurs. Patriote pur, républicain honnête et vertueux, sur cette accusation vague, il est chargé de fers, traîné de cachots en cachots et conduit au tribunal révolutionnaire d'Orange, ou plutôt à la boucherie, à laquelle il n'échappa que par la Révolution du 9 thermidor. Et quel était son crime? C'était d'avoir sauvé la vie de deux à trois cents citoyens des plus riches et des plus convenables de Marseille, que les terroristes de 93 avaient désignés pour victimes, et dont il dévoila courageusement le complot."

"Le péril a des appâts pour les grandes âmes. L'homme aime à se rendre compte de ses forces à lui-même. Il se félicite toutes les fois qu'il a bravé les dangers et surmonté quelque grande difficulté."

"ESMIEU parut devant ses juges avec ce calme et cette résignation qui caractérisent l'innocence et la vertu. Il prononça devant le tribunal révolutionnaire d'Orange un discours fort éloquent qui nous regrettons de ne pouvoir pas mettre en entier sous les yeux de nos lecteurs à cause de son étendue. Nous nous contenterons d'en transcrire ici un passage :"

"Citoyens, vous avez lu dans mon âme. Cette idée consolante me rassure sur le jugement que vous allez prononcer. Elle me dit que vous rendrez à la société un de ses membres vertueux et injustement opprimé; à la patrie un citoyen qui l'a servi de tous ses moyens et qui peut encore la servir utilement; à un vieillard nonagénaire et le meilleur de tous les pères, un fils chéri, l'espoir et le soutien de sa vieillesse; enfin à une famille honnête et patriote, mais éploré, l'objet de son affection et de sa tendresse."

Sortie de prison de Jean-Jacques ESMIEU du 8 Brumaire an III (29 octobre 1794).

Celui qui avait échappé comme par miracle à la hache du bourreau ne tourna point le dos à la Révolution française, ni à la liberté. Il ne voulut jamais les rendre complices des crimes, qu'on commettait en leur nom. Il fut relâché en novembre 1794. Tous ces événements avaient altéré quelque peu son moral. Il revint aux Mées et se mit au service de la municipalité. Il fut officier municipal (adjoint) de décembre 1794 à décembre 1797, puis président (maire) de décembre 1797 à juillet 1800. C'est dans sa retraite des Mées qu'il rassembla tous ses documents amassés durant des années, et acheva de parfaire son HISTOIRE DES MÉES, cet ouvrage qui est remarquable par les idées philanthropiques de son auteur et par la noble simplicité du style, a mérité à ESMIEU l'éloge des hommes de lettres de son temps et la postérité a confirmé ce jugement.

Jean-Jacques ESMIEU avait infiniment d'esprit et son cœur était digne de son esprit. Le spectacle des souffrances d'autrui le déchirait. Sa rare modestie le faisait chérir de toutes les personnes qui le connaissaient. Il ne croyait jamais au mal : si c'est un défaut, il est par sa rareté presque une vertu. Il vit sa fin approcher sans inquiétude comme sans regret et mourut en sage comme il avait vécu. Il s'éteignit aux Mées dans sa 67ème année, le 26 mai 1821.


D'après "BIOGRAPHIE DES HOMMES REMARQUABLES DES BASSES ALPES" par J.J.M. FERAUD. Digne REPOS 1850.


Signature du citoyen ESMIEU.


 Retour vers le bulletin 1986     Retour vers la page d'accueil