Les Amis des Mées
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Blé , fours, pains aux Mées...

 Cliquer pour agrandir la photo Le blé, le moulin à farine, le four à pains, sont des éléments indissociables de la vie des communautés villageoises jusqu'au début du XXème siècle.

Avant la Révolution, et cela s'est prolongé au début du XIXème siècle, il y avait aux Mées deux fours communaux que la municipalité mettait en fermage à l'année. Il y avait "le grand four situé au quartier de la Combe" et le "petit four qui est sur la Grand-rue" (aujourd'hui Rue Virgile Pons). Celui qui prend la ferme du four est dénommé "le rentier" il paie, pour faire fonctionner le four, "un fournier" et "une mandaïre" qui doivent convenir aux officiers municipaux et à la communauté.

Le rentier est responsable de la bonne marche du four, c'est à lui qu'on s'adresse si le fournier fait mal son travail si le pain est trop cuit, ou pas assez, ou s'il se conserve mal. Le fournier a pour tâche de cuire le pain des particuliers et ne doit pas faire de faveurs "le pain sera enfourné sans distinction, acception ni exception de personne à peine de trois livres d'amende".

Ceux qui donnent leur pain à cuire fournissent le bois nécessaire, et il leur revient une part des cendres. Les particuliers paient au rentier un droit de fournage de un pour cent du pain.

La "mandaïre" (ou mandeiris) souvent une femme ou alors un enfant est celle ou celui qui aide le fournier "à mettre le pain sur la pelle" et que ce dernier envoie chez les particuliers pour leur dire de pétrir ou de préparer le pain quand le four est chaud.

Outre ces deux fours municipaux, il y a au village des Mées plusieurs boulangers. Vers 1780-1800, ils sont quatre: Louis FREUD, Charles BEZAUDUN, Isidore PICON et Jean SAVIN, qui font du "pain blanc" et du "pain bis" pour ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas pétrir.

La municipalité qui veille déjà à la bonne marche de ses deux fours se sent également responsable du bon approvisionnement en pains des gens du village.

Ainsi les 26 et 27 août 1782, des particuliers sont venus se plaindre au maire qu'ils ne trouvaient pas de pains à acheter dans le village. Le bureau de police mène une enquête et après audition de plusieurs témoins il ressort effectivement que ces boulangers n'avaient pas ou très peu de pains dans leur boutique. La rumeur publique explique cette situation en disant que les boulangers n'ont pas fait du pain car ils espéraient une augmentation de son prix pour les jours suivants. Ce à quoi les boulangers répondent par des excuses évasives. Charles BEZAUDUN dit "qu'il a mal au doigt ce qui l'empêche de travailler, qu'il n'a point de garçon et que sa femme est dangereusement malade". La femme de Jean SAVIN a répondu "que c'est parce que son mari a été obligé d'aller hier à la foire de Sisteron". Louis FREUD explique lui "qu'il s'est occupé tout le jour d'hier à laver du blé pour faire de la farine". Isidore PICON semble avoir fait du pain normalement.

Les trois boulangers qui n'ont pas fait de pain seront condamnés "pour avoir fait manquer de pain les habitants de la ville, et pour être plus attentifs à l'avenir de remplir leur devoir", à six livres d'amende chacun.

L'année suivante en avril 1783, toujours ces trois mêmes boulangers "refusent de donner du pain à ceux qui leur en demandent l'argent à la main et font tellement manquer le public que grand nombre d'habitants et particulièrement les plus pauvres sont obligés d'aller à la campagne sans manger (...) ce qui met le désordre et l'alarme dans la ville". Ils sont à nouveau convoqué devant le bureau de police. Pour excuser leurs agissements ils disent "qu'ils ne trouvaient pas du blé à acheter, qu'ils perdaient sur le prix du pain". A quoi le bureau répond qu'il y a suffisamment du blé dans le pays et que même "tous les jours les étrangers viennent en acheter".

Ils seront à nouveau condamnés, mais étant récidivistes, le cours des amendes a monté, ils devront payer 24 livres chacun. Si la municipalité veille à la bonne marche des fours et des boulangeries, c'est qu'à cette époque (et ce jusqu'au début du XXème siècle) le pain est la base de l'alimentation humaine. Sans blé, c'est la famine.

En 1850, la consommation journalière moyenne de pain par habitant pour l'ensemble de la France était de 800 grammes (c'est une moyenne, car en milieu rural on en mange plus qu'en milieu urbain, et cela aujourd'hui encore). Cette consommation était déjà nettement inférieure à celle du XVIIIème ou du début du XIXème siècle. Depuis elle n'a cessé de diminuer. En 1983 cette portion journalière n'était plus que de 165 grammes dans laquelle est comprise une quantité non négligeable de pain rassis non consommé qui disparaît dans les poubelles, (jeter du pain! chose impensable il y a seulement quelques décennies ... ).

A la fin du XVIIIème siècle, des années de mauvaises récoltes, des années de grand froid se succèdent, et les habitants des Mées ont peur de manquer de blé.

Le 25 mars 1789, en ce printemps pré-révolutionnaire, alors que s'étaient réunis dans l'église, la seule salle assez vaste, "un conseil général de tous les chefs de famille pour y élire les députés qui doivent porter à l'assemblée de la Sénéchaussée de Digne son vœu et son cahier de doléances", (en vue de la convocation des Etats Généraux).

Cette assemblée dégénère, car arrivent des hommes qui craignent de manquer de blé et demandent "qu'on fixe le prix du blé et qu'il en soit remis à crédit à ceux qui sont sans argent". Finalement le calme ne revient que lorsque la municipalité a ouvert les greniers et a commencé à distribuer du blé à tous ceux qui en demandaient.

Les années suivantes la municipalité (et ce sera une de ses préoccupations majeures de cette fin de XVIIIème siècle) achètera du blé qu'elle distribuera au plus juste prix (pour éviter la spéculation) à ceux qui en ont besoin, afin que tous les habitants aient à manger.

Le 30 janvier 1790 un certain ARNOUX, négociant à Oraison, était venu chargé du blé aux Mées chez le sieur GAL. Lorsqu'il repartait, un groupe de femmes arrêtent sa charrette près de l'église, la déchargent et remisent le blé dans le tambour de l'église. ARNOUX ne sachant que faire va voir le maire. Ils reviennent sur les lieux et trouvent les femmes et des enfants gardant les sacs de blé dans le tambour de l'église. Le maire face à la résolution, à la détermination de ces femmes achètera le blé d'ARNOUX, pour les besoins du village.

Outre les fours du village des Mées, il y en avait aussi dans les hameaux de Dabisse, des Pourcelles, et dans beaucoup de campagnes, il en subsiste encore aujourd'hui à Rassain, à Guillot, à Salvator, au jas de Teissier, à Chamoye et certainement d'autres...

A la campagne de la Breissanne il y avait aussi un four à pains (détruit aujourd'hui) mais un jour il a servi à cuire autre chose que du pain.

Entre le 1ier et le 3 novembre 1846 disparut Marguerite BREISSANT, et malgré l'enquête aucun résultat, car on ne trouvait pas le cadavre et personne ne disait l'avoir revue. Ce n'est que neuf années plus tard, après des dénonciations familiales que le dossier fut réouvert. Et alors on a pu savoir les détails de cette tragique histoire. Marie MEYNIER, la femme d'Antoine BREISSANT habitant à la ferme de la Breissanne, avait, pour des raisons d'héritage, tué à coup de hache, sa belle soeur Marguerite BREISSANT. Puis, pour faire disparaître le cadavre, elle avait avec l'aide de son mari, brulé le corps dans le four à pains. Les voisins avaient bien remarqué que le four avait chauffé pendant plusieurs jours consécutifs ce qui n'était pas du tout normal. En décembre 1855 Marie MEYNIER a été condamnée aux travaux forcés à perpétuité.

Hormis cette macabre utilisation exceptionnelle d'un four, les fours, principalement ceux de la ville, qui fonctionnaient sans discontinuer, étaient des lieux où l'on se pourvoyait en braise quand on laissait mourir le feu de sa maison. Dans ces temps là, les briquets ou les allumettes étaient rares et très chers. Alors, à l'aide d'une "brasière" on allait chercher des braises. Mais, les risques d'incendie étaient grands, un arrêté municipal du 21 septembre 1821 défend "à tous fourniers et aux propriétaires des fours à cuire le pain, de donner ou de laisser prendre du feu dans leurs fours pour être transporté dehors dans des brasières non fermées".

Pour faire le pain, il faut de la farine, et pour avoir de la farine il faut un moulin. Depuis au moins le XIIIème siècle, deux moulins existaient sur le territoire des Mées. Celui des Mées était situé près de l'aqueduc de la Mine (transformé aujourd'hui en logements locatifs), celui de Dabisse était au Pénestel (maison RAVEL). Ils ont fonctionné jusque dans les années 1950. Ils étaient alors actionnés par la force hydraulique et alimentés par des canaux prenant leur eau dans la Bléone pour celui des Mées, et dans la Durance pour celui de Dabisse. Ces Moulins jusqu'à la Révolution étaient propriétés communales et mis en fermage, ensuite ils ont été vendus à des particuliers. Mais avec les moulins à blé il y a aussi les canaux d'amenée d'eau à ces moulins et servant à l'arrosage des terres. Et l'histoire de l'eau dans notre Haute-Provence est chargée, comme celle du pain, d'autant de passions et d'angoisses....



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