Les Amis des Mées
Retour vers le sommaire du bulletin 1999  -   Retour vers la page d'accueil

Les Mées ou Les Mées ?

[ Lé Mé ] ou [ Lé Mès ]

S'il est un mot, qui aujourd'hui, est sujet de controverse notoire, c'est bien la prononciation du nom de notre ville. Faut-il dire [Lé Mé] avec un [é] fermé (comme disent les spécialistes) ou [Lé Mès] avec un [è] ouvert et en faisant entendre le s terminal?

Une langue vivante évolue, se modifie avec le temps. Les générations se succèdent, recevant des générations précédentes oralement et par l'écriture les mots, qui, au fil du temps, au gré des individus, sont transmis aux générations suivantes. Ainsi transportés par la bouche ou la plume des hommes, les mots s'érodent, se patinent, comme les galets de la Durance. Le nom de notre ville n'a pas échappe à ces transformations.

Dans les actes, les livres anciens, nous trouvons pour désigner notre ville divers noms:

Cela pour les écrits anciens qui sont en latin ou en provençal.

En 1539, l'ordonnance de Villers-Cotterèts demande que les textes officiels "soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français et non autrement". Depuis cette date, avec toutes les décennies nécessaires, pour que les habitudes se modifient, on va rédiger en français.

À partir du XVIlème siècle, le nom de notre ville écrit en français par Honoré BOUCHE (1664), DARLUC (1782), ACHARD (1787), ESMIEU (1803) et d'autres écrivains du XIXème siècle est constamment orthographié : LES MÉES [é] accent aigu, exception faite pour Simon BARTEL (1636) qui ne met aucun accent.

L'unanimité est évidente, autre chose est de sa prononciation, parce que "l'orthographe n'est pas toujours la peinture fidèle de la prononciation" (voir note 7)

"L'écriture et la prononciation sont dans une langue deux forces toujours en lutte. L'une représente le mouvement qui pousse sans cesse en avant, l'autre l'esprit conservateur qui toujours calme et modère. L'une est l'innovation, l'autre la tradition". (voir note 8)
Les manières de prononcer, marquent la tradition orale et peuvent varier suivant les régions. On ne prononce pas de la même façon Saint Germain en LAYE [Lai] près de Paris et le barrage de LA LAYE [Laï-Yeu] près de Forcalquier. On ne prononce pas pareil si l'on évoque le nom de la famille PAYAN [pa-yan] ou si l'on parle de l'action de payer "en payant" [pé-yan].

Certains noms de famille, tels que : BAILLE [baï-le], MANENT [ma-nin], CHAILLAN [chèï-lan], se prononcent-ils selon l'orthographe classique ou selon l'usage? En provençal, si l'on écrit "ames" [amès] (tu aimes) ou "amaves" [amavès] (tu aimais) on prononce la terminaison, pour LES MEES il devait en aller de même, les e et s terminaux ne sont, dans ce cas pas muets.

En 1838, Firmin DIDOT (voir note 9) écrit "Les Méez" avec un Z, c'est sans doute, qu'il a voulu transcrire la façon dont il l'entendait prononcer. Jusqu'à des temps très proches (vers 1950) les gens d'ici ne se posaient même pas la question, ils disaient "Les Mès", tous les anciens, sans exception, vous le diront. Une carte postale rédigée en 1910, par une personne qui écrit à peu près phonétiquement, signe: "N.S. au plan des Mess" la prononciation ne laisse aucun doute.

Carte postale datée du 15 septembre 1910. La personne qui écrit, a une écriture phonétique comme on peut le constater, et elle signe (dans le haut à gauche) " NS au Plan des mess Basses-Alpes" indiquant ainsi sans ambiguïté sa manière de prononcer.

Les différences de prononciation sont apparues au milieu du XXème siècle, avec l'arrivée en force de la radio, de la télévision, qui amenaient des voix "sans accent" et qui étaient sensément être la référence. D'où, l'envie de bien parler, du parler correct, du complexe de l'accent. Accent qu'il fallait raboter en le réservant toutefois pour les touristes qui allaient venir voir des gens qui parlaient avec l'accent.

Dire "Les Mès" n'est pas une aberration car "dans les langues qui ont appliqué aux sons nationaux un système orthographique provenant de la tradition d'une langue étrangère, par exemple le français appliquant l'orthographe latine, il y a souvent un grand écart entre la prononciation et l'orthographe" (voir note 10).
Dans notre bon français des exceptions existent. Il est des accents graves que l'on prononce en [é] fermé: procès-verbal. Il est des accents aigus qui, à force de se prononcer en accents graves, ont contraint l'Académie à les changer de sens: événement, céleri, sécheresse... depuis peu, peuvent s'écrire indifféremment accent aigu ou grave. De même, jusqu'à la fin du XIXème siècle on écrivait : collége, liége, manége, siége, piége... avec un accent aigu et l'orthographe s'est là aussi pliée à l'usage et l'on a mis alors des accents graves.

"La langue française renferme un grand nombre de mots dont la prononciation est douteuse (...), l'Académie ne les résout que pour un très petit nombre de cas. Fallait-il pour être plus complet, essayer de ramener notre prononciation à des règles générales? Si cela eût été possible, l'Académie l'aurait fait certainement; nous avons tenté nous-même ce travail et nous avons reconnu que presque partout, les règles qu'on aurait pu poser auraient dû être suivies d'exceptions si nombreuses qu'on ne pourrait plus distinguer les unes des autres. Nous en avons conclu qu'il fallait s'en tenir à l'usage comme règle unique" (voir note 11).

Ou, autrement formulé, dans notre langue, "on a condamné des formes, rejeté des mots, élagué au hasard, sans aucun souci de l'archaïsme dont la connaissance et le respect auraient pourtant épargné des erreurs et prévenus des dommages. L'archaïsme sainement interprété est une sanction et une garantie. " (voir note 12)

"Il est notoire que la langue a varié dans les mots même qui la constituent, malgré leur enregistrement dans les livres et dans les documents de toute espèce. A plus forte raison, a-t-elle varié dans la prononciation qui de soi, est plus fugitive et qui d'ailleurs est plus difficile à consigner par l'écriture. (...) En effet, un traité de prononciation tel que je le concevrais devrait en constatant présentement le meilleur usage, essayer de remonter à l'usage antérieur, afin de déduire par la comparaison des règles qui servissent de guide, appuyassent de leur autorité la bonne prononciation, condamnassent la mauvaise et introduisissent la tradition et les conséquences de la tradition. " (voir note 13).

Voilà c'est dit, et lourdement dit (à cause du subjonctif imparfait bien compliqué), la référence en matière de prononciation c'est l'antériorité dans la tradition et l'usage. C'est aussi ce que préconisait Damase ARBAUD: "Ecrivez bien et prononcez comme le veut l'usage. C'est là ce qui se passe chaque jour dans la langue française. " (voir note 14)

La langue française "a la tendance de nos jours, à conformer la prononciation à l'écriture. Or dans une langue comme la nôtre, dont l'orthographe est généralement étymologique, il ne peut rien y avoir de plus défectueux et de plus corrupteur qu'une pareille tendance. " (voir note 15) Si vous ne voulez pas corrompre la prononciation de Les Mees, si vous voulez être dans le vrai, demandez aux anciens du pays comment ils prononçaient dans leur jeunesse, conformez vous à celà. Ainsi pour pourrez dire sans casser la rime:

Vive Les Mées
Le pays des balès!

Notes
(1) Journal. Alpes de Lumière N° 98. 1988 p. 11
(2) Etat Documentaire et Féodal de la Haute-Provence. 1913.
(3) Histoire du Diocèse de Riez.
(4) Description Historique, Géographique et Topographique des villes de la Provence.
(5) Armorial des Communes de Provence.
(6) Trésor du Félibrige.
(7) Pierre LAROUSSE. Dictionnaire Universel du XIXème siècle, préface page XI, 1866
(8) Damase ARBAUD. Chants populaires de la Provence, tome II, Aix 1864, préface p. XXXVI.
(9) Guide pittoresque du Voyageur en France. Basses-Alpes.
(10) Emile LITTRÉ. Préface au Dictionnaire de la langue française, Juin 1877, P. 131.
(11) Pierre LAROUSSE. Dictionnaire Universel du XIXème siècle, préface p. X et XI, 1866.
(12) Emile LITTRÉ. Préface p. 118.
(13) Emile LITTRÉ. Préface p. 131/132.
(14) Chants Populaires de la Provence. Tome II, Aix 1866, p. XXXVII
(15) Emile LITTRÉ. Préface p. 133.


Retour vers le sommaire du bulletin 1999  -   Retour vers la page d'accueil