Les Amis des Mées
La soie, cette fibre merveilleuse, quel a été son cheminement au cours des siècles ? Nous ne ferons pas mention ici des belles légendes, qui entourent la découverte de la soie, dont l'utilisation en Chine, au pays des Sères, semble remonter à 2600 ans environ avant Jésus-Christ. La soie une fois tissée donnait une étoffe incomparable de finesse par rapport aux tissus existants, elle prend une valeur énorme (elle s'échangeait paraît-il poids pour poids avec l'or) elle devient l'objet d'un commerce important. Le secret de la soie est bien gardé par les chinois, elle est amenée par caravanes en Inde, en Perse à Constantinople puis de là en Grèce et à Rome, c'est la "route de la soie", il fallait semble-t-il sept mois à ces caravanes pour parvenir du Fleuve Jaune aux rivages de la Méditerranée. Au VIe siècle après Jésus-Christ des graines de vers à soie sont ramenées clandestinement de Chine à Constantinople. L'élevage des vers et le travail de la soie commence à se diffuser lentement du Proche-Orient en Europe Méditerranéenne, en Sicile, en Italie, en France, en Espagne. Au XIIIe siècle dans les Cévennes, on filait la soie (1296). La soie et les mûriers arrivent peut-être aussi dans les bagages de Clément V et de la cour papale venus s'installer en Avignon à partir de 1309. Sous Louis XI (1461-1483) et sous François 1er (1515-1547) des établissements modèles pour, la culture du mûrier, l'éducation des vers à soie, et la fabrication des soieries, sont créés et dirigés par des ouvriers venus d'Italie. Sous François 1e, la Touraine et la Provence sont les régions où la production de soie est la plus développée. Vers 1540, la fabrique lyonnaise où la soie est tissée prend de l'importance. Mais cette soie vient surtout d'Italie et le développement de la sériciculture en France résulte en partie de l'implantation de la soierie à Lyon qui avait besoin de matières première sur place et à meilleur marché. Henri II (1547-1559) qui dès la première année de son règne ordonne par un édit de planter des mûriers et essaie de vulgariser (sic) les vêtements de soie. Il est paraît-il le premier roi de France à porter des bas de soie français.
Avec Henri IV (1589-1610) la sériciculture amplifie son
développement. Le jardin des Tuileries devient une
pépinière de mûriers et l'Orangerie des Tuileries est
transformée en magnanerie, un édit prohiba même
l'importation de soie en France. Jean LIEBAULT en 1589 publia un ouvrage
d'agriculture où l'éducation des vers à soie à une
bonne place et entre autres, il indique comment faire éclore les oeufs
de vers à soie : "Le moyen de les faire naître, est, après
les avoir arrosés ou baignés dans un vin blanc, plutôt
qu'eau tiède, les poser près le feu jusques à tant qu'ils
soient un peu échauffés, puis les mettre entre deux oreillers de
plumes aucunement chauds, ou entre les tétins des femmes (pourvu
qu'elles n'aient leurs fleurs) et ainsi les vers naissent" . (1)
Puis Olivier de SERRES écrit en 1599 "La cueillette de la Soye par la nourriture des vers qui la font" et contribue pour beaucoup à l'accroissement de l'élevage des vers à soie qui se répand à peu près dans tout le pays. Le mûrier est appelé "arbre d'or" ou "arbre plein de la bénédiction de Dieu". Mais Louis XIII (1610-1643) ne poursuit pas cet effort, la production diminue. Louis XIV (1643-1715) avec l'aide de COLBERT soutient la relance, les mûriers se répandent à nouveau en France. Lyon augmente son importance pour la fabrication de soieries. La politique de Louis XIV en faveur de la sériciculture n'est pas durable, la production diminue à nouveau vers la fin de son règne. Louis XV (1715-1774) accorde des encouragements à l'industrie de la soie. Des pépinières considérables de mûriers sont entretenues aux frais de l'Etat et une distribution gratuite de plançons est faite aux cultivateurs. Sous Louis XVI (1774-1791) l'expansion se poursuit, la soie est même exportée.
Avec la révolution, la production de soie diminue
considérablement, beaucoup de mûriers sont arrachés.
Pourtant dans certaines régions l'élevage continue, comme en
témoigne ce voyageur qui passait près d'Orange dans le Vaucluse :
"Partout les habitants étaient occupés à cueillir la
feuille (celle du mûrier) pour nourrir les vers à soie. Les champs
où croît cet arbre offrent un contraste singulier : les uns sont
ombragés de ses feuilles larges et verdoyantes, les autres
entièrement dépouillés de cet abri, présentent,
sous les feux d'un soleil brûlant et au milieu de l'été,
l'aspect de l'hiver". (2)
Avec Louis XVIII (1814-1824), l'industrie de la soie renaît, les fabriques de soie prospèrent, mais la majorité de la soie utilisée dans ces fabriques vient de l'étranger. Alors l'Etat lance une campagne de production de soie.
En 1826 aux Bergeries de Sénart aux portes de Paris est
créé un "institut modèle séricicole dont la
destination spéciale est d'être consacré à la
culture du mûrier et à l'éducation des vers à soie".
La responsabilité en est confiée à Camille BEAUVAIS et
comme disait Eugène ROBERT de Sainte-Tulle "L'art du magnanier
était resté stationnaire pendant plusieurs siècles et les
procédés recommandés par une routine traditionnelle ne
s'étaient guère élevés au-dessus de l'empirisme".(3)
Des ouvrages avaient traité le sujet, mais sans vraiment apporter de grande nouveauté. En Italie où la sériciculture était un peu plus avancée DANDOLO (créateur de l'école séricicole Italienne) avait observé les vers à soie et recommande certains principes nécessaires à la réussite des élevages : propreté des lieux, degré de chaleur, renouvellement de l'air. A partir de ces remarques il construisit vers 1817 les "Dandolières" magnaneries idéales selon DANDOLO et qui comportaient entre autres six grandes cheminées : une à chaque angle et une au milieu des deux grands côtés de la salle, plus un grand poêle rond au milieu de la pièce, beaucoup de fenêtres (treize) et quatorze soupiraux dont huit au plafond et six au sol qui communiquent avec les chambres dessous pour créer une aération continue, de plus il préconisait des délitements et des dédoublements fréquents.
Mais ces magnanières comportent bien des défauts, notamment la
proximité des sources de chaleur qui donnent des coups de feu aux vers
les plus proches, le danger d'autant de foyers dans une pièce
encombrée, trop de courants d'air, le délitement et le
dédoublement se faisant à la main entraînent des blessures
et la contamination des vers. "Ces méthodes n'étaient plus en
harmonie avec l'état de la science de notre époque".(4)
Camille BEAUVAIS en partant de la méthode de DANDOLO met au point avec
DARCET ("si connu pour ses heureuses applications de la science aux arts
industriels" (5)) un système d'aération et de chauffage qui sera
installé dans les magnaneries salubres de "type DARCET".
La magnanerie DARCET exige un bâtiment qui a un rez de chaussée et un premier étage. Au rez de chaussée se trouve la chaufferie, l'air chaud monte, par des gaines et un système de tirettes assez complexe, et répand la chaleur dans la magnanerie : c'est la ventilation naturelle, l'air chaud montant seul, étant de densité plus faible que l'air froid. Pour envoyer de l'air frais, air qui est rafraîchi en passant sur des bassines d'eau ou de glace quand on en possède, on met en action un tarare qui propulse l'air : c'est la ventilation forcée.
Cette méthode demandait de gros investissements et ne concernait finalement que les magnaneries expérimentales ou très importantes Dans les Basses-Alpes les magnaneries de ce type étaient rares. Vers 1840 il y en avait seulement trois : Robert à st Tulle, CARRIER à Pierrevert, ARBAUD à Manosque. Par contre dans le Gard, où les élevages étaient plus conséquents, même si le principe en avait été un peu simplifié par la suite, elles étaient nombreuses, et l'on reconnaît encore bien aujourd'hui dans l'architecture des fermes de cette région, ces grandes et hautes bâtisses caractéristiques, qui sont les anciennes magnaneries. Avec ces progrès, ces améliorations, la sériciculture se développe rapidement, surtout dans les Cévennes qui se consacrent presque exclusivement à cette industrie. Les mûriers sont plantés partout, cette période de prospérité va durer jusqu'en 1853 où le maximum de la production française sera atteint et jamais plus égalé. Mais peut-être s'est-on lancé trop vite et sans précaution dans cet élevage qui paraissait bien lucratif. La surpopulation des vers, les magnaneries trop importantes et conduites dans des conditions hygiéniques douteuses, amènent les maladies qui vont décimer les élevages.
C'est la panique et la ruine chez les sériciculteurs. "Trop souvent, en
effet, l'éducation du ver s'étant comportée comme à
l'ordinaire, c'est seulement au dernier jour, au moment de la montée des
vers ou de la formation des cocons, que tout à coup la maladie se
manifeste, intense, générale. L'éleveur fait naufrage au
port. Toute espérance de récolte s'évanouit pour lui,
précisément alors que les soins, les dépenses, la main
d'oeuvre et les fournitures qu'elle exigeait étaient entièrement
supportés". (6)
Surtout les Cévennes sont touchées, ce sont elles qui avaient le plus investi dans les vers à soie. Les départements les plus gros producteurs et aussi, les plus atteints par la maladie sont : le Gard, l'Hérault, la Lozère et l'Ardèche.
Jean-Baptiste DUMAS, qui était d'Alès, demande à Louis
PASTEUR de s'occuper de cette maladie et d'essayer de l'enrayer. "Je mets un
prix extrême à voir votre attention fixée sur la question
qui intéresse mon pauvre pays, la misère dépasse tout ce
que vous pouvez imaginer". (7). PASTEUR hésite et invoque son
incompétence en la matière, DUMAS lui répond : "Tant
mieux, que vous ne sachiez rien sur le sujet vous n'aurez d'autres idées
que celles qui vous viendront de vos propres observations. " (8)
PASTEUR va s'installer près d'Alès pour étudier sur place la maladie : la pèbrine ou maladie des corpuscules. Il fera également plusieurs séjours d'études à Paillerols, mais nous verrons cela en détails dans ce qui suit. Les découvertes n'iront pas sans déceptions. Il y avait déjà deux ans que PASTEUR menait ses expériences et ses recherches pour lutter contre cette maladie des corpuscules, quand il s'aperçut qu'il y avait en fait deux maladies distinctes : la pèbrine et la flacherie. A partir de cette découverte la défense contre ces maladies put encore mieux s'organiser.
Dès le début il remarque que "la maladie est la maladie de la
graine". "Dès l'origine du fléau (la pèbrine) et
après quelques hésitations qui furent bientôt
dissipées, la pratique industrielle démontra que c'était
au mauvais état des graines qu'il fallait faire remonter la cause, tout
au moins la cause prochaine, de la plupart des échecs des
éducations de vers à soie et que leurs succès devaient
être attribués, également en grande partie. à la
bonne qualité de la semence. (...) De l'aveu de tous, le salut de cette
grande industrie ne peut résulter que de la connaissance de
procédés capables de rendre aux graines indigènes leur
qualité d'autrefois".(9)
Initialement, la graine était surtout produite sur place par chaque
éleveur qui mettait à grainer ses plus beaux spécimens.
Des graines étrangères également arrivaient sur le
marché d'Italie, de Grèce, d'Espagne de Turquie... et ne sont pas
forcément meilleures que les autres, seules celles venant du Japon
semblent donner de bons résultats et se paient cher. "On paye :12
à 15 francs l'once de graine, qui coûtait à peine 1,50 F ou
2 francs jadis et que le plus souvent on se distribuait gratuitement
même, d'une chaumière à l'autre". (10)
Ces graines japonaises à prix fort étaient livrées
collées sur des cartons. Des graineurs peu scrupuleux "faisaient
l'acquisition des cartons dépouillés, sur lesquels se trouvaient
fixées les graines de vers à soie importées du Japon, afin
de les vendre, l'an prochain, recouverts de graines sans valeur, que les
acquéreurs supposeraient avoir été recueillies au Japon".
(11)
12. Circulaire du ministre de l'Agriculture du 5 Août 1865. AD.13.M art 15. De telles pratiques aidaient à la propagation des épidémies, car ces graines non contrôlées, non sélectionnées étaient souvent porteuses de germes des maladies.
En partant d'une graine saine, la récolte était assurée,
car la maladie principale, celle qui faisait le plus de ravages : la
pèbrine, n'évoluait que lentement et même si les vers la
contractaient au cours de leur développement ils arrivaient quand
même à faire un cocon. "Au point de vue de l'industrie, la maladie
n'est redoutable qu'autant que le ver est assez affaibli pour qu'il ne puisse
faire son cocon". (13)
Mais il ne fallait surtout pas se servir de cocons contaminés pour faire
des grainages." Qu'elle est énorme la masse de cocons excellents perdus
pour la filature depuis vingt-ans et livrés au contraire à des
grainages qui ont porté la ruine chez des milliers d'éducateurs".
(14)
15. Louis PASTEUR - idem (13) - Tome II - p. 160.
"Toutefois, comme la diffusion de la méthode était devenue une
question de pratique, il n'avait pas dédaigné de devenir graineur
et il allait volontiers présider à la mise en oeuvre de son
procédé chez les industriels qui réclamaient son concours,
dans les Basses-Alpes ou les Pyrénées Orientales".(16)
Les graines languedociennes et provençales produites par ce procédé obtiennent une renommée internationale. C'est, un nouveau départ pour la sériciculture, mais jamais plus la. production nationale n'atteindra le record de 1853. La soie vient d'Asie (de la Chine, du Japon) à des prix très bas (ouverture du Canal du Suez 1869). Malgré l'amélioration dans les rendements de production, les meilleures conditions d'élevage, la sériciculture n'arrivera pas a être compétitive. Dans les Cévennes c'est la ruine, elle était le pilier principal de l'économie locale, outre l'élevage des vers, les Cévennes employaient une main d'oeuvre importante au dévidage et au moulinage de la soie et ces usines tournaient au ralenti, ou même s'arrêtaient pendant la période d'élevage afin de permettre aux ouvrières (c'était principalement des femmes) de se libérer pour participer aux travaux d'éducation des vers à soie. Dans les Alpes de Haute-Provence le problème sera beaucoup moins dramatique. En 1892 sont instaurées des primes à allouer aux producteurs, afin de compenser la concurrence étrangère. Malgré quelques sursauts de production, la quantité de soie produite en France continue de diminuer. Seuls les producteurs de graines tirent leur épingle du jeu, on leur demande des graines de l'étranger. Peut-être le coup de grâce est porté à la sériciculture nationale avec l'arrivée sur le marché des textiles artificiels. Le prix des cocons baisse toujours, la sériciculture ne nourrit plus son homme. En se consumant lentement, la sériciculture française va baisser jusqu'à son extinction complète en 1968. Il est curieux de voir comment la sériciculture paraît liée aux Cévennes. C'est en 1296 que l'on trouve les première traces du travail de la soie à ANDUZE. Au XVIe siècle c'est près de Nimes que François LETRAUCAT plante des mûriers, puis vers la fin de ce XVIe siècle c'est Olivier de SERRES qui au PRADEL va vulgariser l'élevage des vers à soie. Au XIXe siècle se sera toujours les Cévennes qui produiront la plus grosse quantité de soie. Et enfin dans les année 1970, c'est encore et toujours dans les Cévennes qu'une relance est tentée, que la sériciculture essaie un redémarrage avec des techniques modernes : au sein de la SICA "Soie-Cevennes" à Monoblet et d'un CAT "Les Magnans" à Molières-Cavaillac près du Vigan.
Ver à soie (grandeur réelle x 2)
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