Les Amis des Mées
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L'Huile d'Olive des Mées

1 . HISTORIQUE

La culture de l'olivier aux Mées, remonte vraisemblablement à plus de deux millénaires. L'olivier a été amené sur la côte méditerranéenne par les Phocéens, d'où les Romains l'ont répandu vers l'intérieur, là où il se développe de nos jours.

Au Moyen-Age, avec sur notre territoire la présence de deux prieurés : celui de Paillerols, dépendant de l'ordre de Chalais et celui de St-Michel, dépendance de Ganagobie, de l'ordre de Cluny, l'olivier s'est développé en nombre, mais aussi en qualité. Les moines apportaient énormément de soins et d'attention à toutes leurs cultures. C'est peut-tre depuis cette époque que les Méens tiennent leur savoir-faire oléicole.

Et puis, il y a l'église des Mées, dont la première construction semble être de la fin du XIVème siècle, son vocable est NOTRE DAME DE L'OLIVIER, des actes de l'an 1400 lui donnent déjà ce titre. (1)
Eglise de Notre-Dame des Oliviers aux Mées (1) J.J. ESMIEU - Notice historique de la ville des Mées - Digne, Farjon, 1803.

C'est dire toute l'importance que devait avoir l'olivier dans ce pays pour lui consacrer son église.

Il semblerait, qu'après le Moyen-Age, la culture de l'olivier, sans être délaissée, ait connu une légère décadence, mais là nous n'avons rien trouvé de précis.

Ce n'est qu'à partir de la fin du XVIIIe siècle que l'on en retrouve des traces écrites: "L'arbre le plus précieux du département est l'olivier. On a été étonné de ce qu'en 1789 les oliviers du département des Basses-Alpes n'ont que faiblement souffert de la gelée tandis qu'ils ont presque tous péri à Aix où le climat est beaucoup plus doux" (2)
(2) Tableau Général des Basses-Alpes par M. MARTIN, 1792 dans B.S.S. et L. des B.A. n° 163 - 164 - 165 - 1932 - 1933

Au XIXe siècle, les renseignements se précisent "L'olivier réussit parfaitement dans la partie du territoire au sud de la ville des Mées, parce que la terre en est plus légère, et que les racines de cet arbre peuvent la pénétrer avec plus de facilité. Cet arbre précieux se plait plus particulièrement sur les lieux élevés et aérés, et nous avons observé que ceux placés sur des éminences, ont moins souffert dans les hivers rudes de 1768 et de 1789 que ceux qui se trouvaient dans les lieux plus bas quoique mieux abrités, parce que l'air n'y circulait pas si librement. Les froids rigoureux de ces deux hivers ont fait périr plus de la moitié des oliviers de notre territoire. Mais de ces événements désastreux, il pourra résulter dans la suite un accroissement dans le nombre de ces arbres, pourvu qu ils ne se renouvellent pas à des époques aussi rapprochées. Il est rare que l'olivier périsse entièrement et comme le Phénix, il renaît pour ainsi dire, de ses cendres." (3)
(3) J.J. ESMIEU - op. cit. p.69 et 70

Le froid, c'est terrible... La production, en ce tout début du XIXe siècle, "dans l'état actuel de mortalité de nos oliviers"  (4) était de 30 000 kg d'huile, soit environ 27 600 litres dont "les deux tiers sont consommés sur les lieux, le reste est transporté à Marseille ou dans le Nord de la République. Avant la mortalité de 1789, cette récolte était bien plus considérable." (5)
(4) J.J. ESMIEU - op. cit. p.71
(5)J.J. ESMIEU - op. cit. p.71


Quelques années plus tard, les oliviers recommençaient à produire et en janvier 1820 une vague de froid fit de gros dégâts. "Dans le moment, tous nos oliviers paraissent morts, mais ce n'est pas une raison pour que cela soit, il faut attendre que la sève se renouvelle pour pouvoir en juger avec quelques connaissance et ce ne sera que dans le courant du mois de mai qu'on pourra apporter un jugement fixe". (6)
(6) Lettre de M. SALVATOR, Maire des Mées au Pré,fet des B.A.. Les Mées 7 mars 1820 A.D. 7 M 21

"Les uns prétendent qu'ils ont tous péri, d'autres assurent qu'une bonne partie perdra ses feuilles mortes et à la renaissance du printemps repoussera de nouveaux jets. Le plus grand nombre est d'avis que les arbres devraient être couronnés un peu plus haut, un peu plus bas suivant qu'ils l'indiqueront eux-mêmes par les nouvelles pousses." (7)
(7) Lettre de M. BERNARD. Les Mées le 4 mars 1820 A.D. 7 M 21

Le froid est la crainte principale des oleïculteurs, on se souvient des hivers rudes et on se décourage... "En 1709, tous les oliviers du pays périrent à 10° au-dessous de zéro. De notre temps, en 1789 le même degré de froid en a fait périr un tiers et en 1816 un froid de 8° en fit périr plusieurs, de fait que ce sera toujours une mauvaise spéculation pour nos contrées de s'adonner exclusivement à cette branche de l'agriculture puisqu'il faut de 25 à 30 ans avant qu'on puisse retirer un véritable produit d'un arbre qui vient de périr et à peine commence-t-il à produire qu'un nouveau froid l'enlève, c'est ce que j'ai vu plusieurs fois.
Je pense qu'il serait beaucoup plus avantageux pour cette commune qu'on s'adonnât à la culture du mûrier.
" (8)
(8) Lettre de M. SALVATOR, Maire des Mées au Préfet des B.A. Les Mées le 2 mars 1821. A.D. 7 M 21

Heureusement qu'on n'a pas trop écouté le maire des Mées, même si par la suite, on a planté beaucoup de mûriers aux Mées pour nourrir les "magnans" qui on eu, c'est vrai leurs heures de gloire et de réussite. Aujourd'hui, les mûriers ne sont plus que de moribonds témoins de ce temps, par contre, nos oliviers même s'ils sont passés par des périodes sombres, continuent de produire une huile excellente.

Les variétés d'oliviers mentionnées à cette époque sont : "le negroun gros et petit, le verdau, le bouteillan gros et petit, le monaco, le lanès gros et petit, etc... L'étymologie ne vient que de la grosseur ou la petitesse du fruit, ou de la couleur lors de la maturité, variant d'une commune à l'autre de manière qu'il est très difficile de pouvoir établir généralement les espèces sans discussion." (9)
(9) Lettre de M. SALVATOR, Maire des Mées au Préfet des B.A. Les Mées le 2 mars 1821. A.D. 7 M 21

C'est vrai qu'il est très difficile de s'y retrouver dans les appellations des variétés anciennes locales. Cependant une lettre du sous-préfet de Sisteron nous apporte quelques précisions sur trois de ces variétés et en cite d'autres:

  1. "Le verdaou : qui pousse avec rapidité, produit une olive longue et grosse qui donne une huile de qualité supérieure.
  2. Le negron qu'on présume être le moureau, pousse aussi fortement que le précédent ses olives petites et rondes produisent une huile fine. En général, cette espèce a résisté aux gelées de 1820.
  3. Le lanet qui reste plus petit que les précédents, dont les pousses sont plus multipliées, donne l'huile la plus fine, cet arbre serait plus délicat que les autres et son fruit ne mûrit parfaitement que dans les beaux automnes.
  4. La Colombane ou Espagnenq.
  5. Le lanet rouge. Ces deux espèces réussissent fort bien.
  6. Les nains.
  7. Le bouteillan.
  8. Le cougourdan.
  9. Le doucine. " (10)
(10) Lettre du Sous-Préfet de Sisteron au Préfet des B.A. Sisteron le 21 mai 1821. A.D. 7 M 21. 1968 ?Dans ces années-là (1820-1830) "beaucoup de propriétaires appartenant aux classes élevées de la société, renonçant au tumulte des villes, tournaient leurs regards vers les champs patrimoniaux" (11)
(11) Eugène ROBERT de Sainte-Tulle, 1806-1873, dans son livre de raison. B.S.S. et L. des B.A. Tome X, page 326. 1901-1902.

Ces propriétaires érudits, s'installent dans leur domaine pour le moderniser, s'occupent ardemment d'appliquer à l'agriculture les théories qu'ils élaborent ou qui sont à la mode.

Aux Mées, M. SALVATOR et Henri RAIBAUD-L'ANGE, entre autres sont de ceux-là. Quand le préfet ou un ministre veut des renseignements précis sur les oliviers des Basses Alpes, c'est à eux qu'ils s'adressent : "Monsieur le Préfet, je m'empresse de vous remercier de l'envoi du mémoire sur les oliviers, rédigé par M. SALVATOR, membre de la Société d'Agriculture de votre département.
J'ai lu ce mémoire avec beaucoup de plaisir, et j'aurai l'honneur de le mettre incessamment sous les yeux du Conseil d'Agriculture. J'attends de M. RAIBAUD-L'ANGE qui se trouve à Paris les renseignements qu'il sera à même de me fournir ; cette réunion de lumières de deux agronomes aussi distingués, entre parfaitement dans les vues de l'administration
". (12)
(12) Lettre du Ministre Secrétaire d'Etat de l'Intérieur au Préfet des B.A. Paris, 30 juin 1821. A.D. 7 M 21

C'est fort ! Henri RAIBAUD-L'ANGE, revenait diriger son domaine de Paillerols et quelques années plus tard, la ferme-école du département sera installée sur ses terres avec lui-même comme directeur on y enseignait la taille et l'entretien des oliviers. Dans l'année 1864 à Paillerols, il y avait entre autres un champs d'oliviers de 20 hectares d'un seul tenant, dont la principale variété était le Lanet. La récolte des oliviers nécessite 400 journées de femmes, et 20 apprentis (de l'école) qui travaillent pendant près d'un mois. Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, l'olivier s'est légèrement développé en certains quartiers où il a remplacé des vignes ravagées par le phylloxéra. De 40 000 oliviers vers 1820, on en retrouve environ 50 000 à la fin du XIXe siècle.

Au début du XXe siècle, avec l'abandon des campagnes, le manque de bras, le début du machinisme agricole, des olivettes sont abandonnées dans bien des communes du département, surtout celles où les oliviers sont plantés en "bancaou" (en terrasses). Aux Mées, on ne délaisse pas volontiers ses oliviers, on aime toujours autant faire son huile, d'ailleurs, les olivettes sont relativement vastes et principalement à plat.

20 hectares... L'Etat qui voit cette culture diminuer commence à donner des primes vers 1910, ce qui stimule légèrement quelques oléïculteurs, mais ne rend pas des bras à cette campagne qui se dépeuple.

En 1911, 377 propriétaires sur 290 hectares ont 47 012 oliviers.

Ce n'est pas la guerre qui fera diminuer les pieds d'oliviers, au contraire, l'huile est précieuse. Et malgré l'absence des hommes valides, les femmes continuent avec efficacité l'entretien des olivettes. "Hier et aujourd'hui nous sommes pas été oliver, qui fait un froid terrible, le canal, la Durance, ce n'est rien qu'une glace, encore s'il ne faisait que froid, mais le plus qu'il fait un vent qui emporte tout (...). Tandis que ce temps dure, nous restons à la maison, puis il viendra encore du beau temps pour finir ces olives, le jour que nous aurons fini ce sera un brave souci enlevé de là". (13)
(13) Lettre de Rose MEYNIER à son mari, Urbain MEYNIER, sodat au front. Dabisse 21 décembre 1917.

En 1917, on compte 49 827 oliviers sur 308 hectares. Ces 50 000 arbres semblent être le chiffre maximum que la commune des Mées ait compté. "Nous avons constaté que la bonne récolte de 1917 et les cours élevés des huiles avaient eu une répercussion heureuse sur le bon entretien des oliveraies ; celles-ci sont mieux soignées que dans le passé et tout fait espérer que ces cultures pourraient être l'objet d'un revenu rémunérateur dans l'avenir". (14)
(14) Rapport du 2 novembre 1918 du Directeur du Service de l'Oléïculture, sur une tournée qu'il a effectuée dans les Basses-Alpes dans les communes de Peyruis, Les Mées, Oraison, Lurs, Villeneuve et Volx.

Dans les fermes (grandes ou petites) de polyculture, comme elles l'étaient toutes par ici, jusque vers le milieu du XXe siècle, l'olivier faisait partie de ces cultures vivrières que chaque agriculteur se devait de cultiver pour la vie de la famille, au même titre que le blé, la vigne, la pomme de terre, et auxquelles il accordait des soins tout particuliers.

Le rapport de ces oliviers était souvent aléatoire, il fallait compter avec les mauvaises années de récolte faible ou même parfois nulle...

Quelques années plus tard, "d'une façon générale l'olivier seul est mal soigné, les vergers peu accessibles ou éloignés laissés incultes. D'autres mieux partagés reçoivent deux labours par an, on les taille tous les deux ans, quelquefois à l'entrée de l'hiver on pioche le pied, à la fin du printemps, on enlève les gourmands". On trouve alors comme principales variétés, pour la table, "le broutignan blanc appelé vulgairement colombale, les ménagères la mettent en conserve. Pour l'huile, la plus répandue est l'aglandaou ou verdaou ou olivier commun, elle donne une huile verdâtre âcre qui s'améliore par la suite et se conserve longtemps" (15)
(15) Monographie agricole des B.A. Enquête de 1929 par NIQUET. A.D. 7 M 15

En 1938 le déclin s'amplifie, il y a 343 propriétaires et 42 585 oliviers.

Brrrr... Brrrr ...! Après la seconde guerre mondiale, avec l'énorme essor de la mécanisation agricole, l'exode rural qui s'accentue, l'arrivée sur les marchés d'autres huiles végétales à des prix infiniment plus bas, l'olivier va recevoir un grand coup. Ce n'est pas tout, en février 1956 une période de gelées intenses continue la destruction. Cette vague de froid sera surtout désastreuse dans le Var et les Bouches du Rhône, ici aux Mées les dégâts seront moins importants, nos arbres étant mieux habitués aux hivers rudes.

Après ces grands froids, il y eut des oléïculteurs jugeant leurs olivettes trop endommagées, qui les abandonnèrent complètement, mais d'autres, dont les oliviers n'avaient que peu souffert des gelées, trouvèrent plus facilement à vendre leur huile à un prix raisonnable, car dans les départements voisins la destruction avait été quasi totale. C'est ce qui nous permettra de faire reconnaître notre huile.

Un coup de bull... Dans les années 1960, nouvelle perturbation. L'E.D.F. construit un grand canal pour amener l'eau à l'usine hydroélectrique d'Oraison. Entre les Mées et Oraison, il traverse les plaines et passe en majeure partie dans la zone des olivettes, détruisant un grand nombre d'oliviers. Des propriétaires utilisant la proximité des puissants bulldozers du chantier en profitent pour faire arracher leurs oliviers qui rapportent si peu.

Heureusement que certains agriculteurs continuaient à croire à un avenir pour nos oliviers, sinon, nous serions en ce moment en train de manger notre salade à l'huile "plate".

Les Services Agricoles favorisent, à l'aide de primes, les nouvelles plantations. Des oliviers sont replantés, notamment des variétés de table comme la Picholine, la Tanche. Mais l'olivier reste une culture de faible rapport. Si dans le temps, quand il y avait des olives, on les ramassait et quand il n'y en avait pas on s'en passait..., aujourd'hui, nous sommes beaucoup plus tenus par des questions de rentabilité, coût de la vie et du travail oblige, même si l'on est oléiculteur... Dans les vergers, on remplace les oliviers manquants de façon à mieux regrouper les arbres producteurs. Des méthodes de taille mieux adaptées à des récoltes régulières sont développées par des démonstrations publiques, on diminue le temps de ramassage en passant de la "banaste" aux filets (voir plus loin au chapitre "Les olivades"), on lutte aussi plus efficacement contre les attaques des insectes dévastateurs.

Dans les années soixante comme nous l'avons vu, entre le gel, la construction du canal et le développement agricole, le nombre d'olivier a considérablement diminué. Aujourd'hui, même avec ses 30 592 pieds restants, les Mées est la commune des Alpes de Haute Provence possédant le plus d'oliviers (29 096 entretenus, 1 496 non-entretenus, chiffres C.T.O. 1986-1987). Ces oliviers cultivés avec soin produisent une huile de grande qualité reconnue par les meilleurs spécialistes.

"La culture est extensive (dans les Alpes de Haute Provence) mais les oliviers sont entretenus avec sérieux. La quasi totalité du verger est entretenue. Un groupe d'oléiculteurs de pointe pratique une culture semi-intensive dans la région de Dabisse-Les Mées avec des variétés à huile locale ou de table nouvellement plantées" (16)
(16) L'olivier. René MAILLARD. Comité technique de l'olivier. Centre TEchnique Interprofessionnel des Fruits et Légumes. Paris 1981 p.15

De jeunes plants d'oliviers sont encore actuellement plantés, et quand on connaît la longévité de ces arbres, on peut croire avec raison que le terroir des Mées continuera longtemps encore à nourrir ces arbres merveilleux, aussi bien pour l'excellente huile qu'ils nous procurent que pour le plaisir de nos yeux.

Il faut se promener dans les olivettes, au milieu de ces troncs noueux à la chevelure d'argent, en pleine chaleur d'été accompagné du concert des cigales, ou dans l'air clair et vif des journées d'hiver pour comprendre toute la richesse de la présence de ces oliviers pour notre bien être et notre bien vivre.


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