Les Amis des Mées
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LES HOMMES À LA GUERRE

Les soldats relataient leur dure vie...


Les Hommes à la Guerre

«..Je suis tout près des boches (à 100 m). Entre nos deux lignes, les cadavres boches sont en train de finir de fondre. Les salauds, ils ne sentent pas meilleur crevés que vivants, et ils ne sont pas plus beaux...».

Gaston JEANNE, à sa tante,
le 29 mars 1915.

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«...Je te dirai que si j'ai le bonheur de retourner et bien quand il y aura de l'aviation, des aéroplanes, j'aurai plus envie d'aller les voir, pourquoi où je suis, tous les jours, je m'en vois des vingtaines, ça pour moi, ce ne sera plus rien. Tout le défaut que je prendrai sera d'aller faire la partie aux cartes, car le soir, quand on a soupé, l'on se met à jouer aux cartes et jusqu'à 11 heures ou minuit, et l'on s'arrête pas, et ça arrive bien souvent que dans la journée nous jouons aussi, pourtant il faut bien passer le temps à quelque part...».

Urbain MEYNIER, à sa femme Rose, à Dabisse,
de Villers Daucourt le 23 mars 1915.

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«...Je te dirai que si tu voyais un peu la vie que l'on passe, de 4 jours à Saint-Dizier, et bien tu dirais que c'est un malheur de voir ce que l'on nous fait faire, de manger et se traîner sur la paille toute la journée. Tu peux croire que moi je dis quelquefois dans la journée: dire que moi je m'ennuie de rien faire et vous autres, vous êtes obligés de vous crever pour faire le travail... »

Urbain MEYNIER, à sa femme Rose, à Dabisse,
de Saint-Dizier (Haute-Marne), le 9février1916.

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«...Je me le crois, encore deux jours d'enfer et puis nous allons encore au repos pour 8 jours.
Dans les tranchées, ils nous font vivre comme des renards, toujours dans les trous, d'un coin de la tranchée à l'autre, et la nuit c'est le contraire, il faut sortir pour surveiller les confrères boches qui viennent pour nous zigouïer...».

Abdon, à sa cousine,
« envoi de la tranchée», le 27 juin 1916.

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«...Mes nouvelles sont toujours bonnes, quoique j 'ai un peu le cafard. (...) Ce matin on nous a équipés tout de neuf, et avec ça, je pense qu'on les aura...».

Fernand MAYOLY, à Augusta BOURGUE, à Lurs,
de Troyes (Aube), le 13 avriI 1917

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«...Me voici dans un nouveau secteur, nous sommes en lignes, mais ici ce n'est pas la guerre. Il y a une brave différence à côté d'où nous venons. Je suis dans l'Argonne, à côté de VAQUOI (1). Ici nous sommes bien, bien entendu que ça ne vaut pas la maison car nous sommes dans la neige, il y en a 25 centimètres et ça tombe toujours, aussi je t'assure que je suis fatigué, 3 jours que nous marchons sous la neige. Cette nuit je vais dormir volontiers.
Hier je t'ai envoyé une carte. Nous prenons les tranchées à La Fille Morte, ceux que nous avons remplacés, il y a sept mois qu'ils étaient là. Dans sept mois, ils ont eu deux tués pour le 75, c'est pour te dire que ça ne barde pas. Si nous restons ici, je pourrai voir la fin de la guerre, tandis que au Mort-Homme
(2), ce n'était pas ça, j'y ai souffert. Ici nous sommes dans la neige, mais nous sommes dans les bois et nous pouvons faire du feu.
Je te dirai aussi que dans quinze jours ou 3 semaines, je serai avec toi, c'est plus intéressant. Je suis le 29
ième à partir, tu vois que ça s'approche. J'ai reçu ton colis, tu m'as fait plaisir car j'en avais besoin d'une serviette et des mouchoirs, et ce qui m'a fait plaisir, c'est la bouteille de gnole que, avec le temps qu'il fait, ça ne fait pas du mal la nuit quand on a bien froid...».

(1).Vauquois, à côté de Varennes - Meuse (?)
(2).Mort-Homrne, entre Béthincourt et Chattencourt, environ 15 km au nord-ouest de Verdun.

Louis JULIEN, à safemme Marguerite à Dabisse
le 15 janvier 1917.

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«..Je suis encore dans le bois que je me chauffe les pieds, car il ne fait pas chaud, nous marchons dans la neige, mais pour avoir froid aux pieds, je pense quand même à vous autres.
(...) J'ai aussi reçu ta lettre où tu m'as envoyé de l'argent, j'en ai eu du regret. Je vais te le dire, nous jouons quelquefois aux cartes, dans la soirée, j 'avais perdu 30 F, alors je t'en avais demandé car il me restait plus que 25 F. Le lendemain, l'oncle m'en a envoyé et puis j'ai encore gagné mes 30 F, ça fait qu'à présent j'en ai encore 80 F. Je pense que j'en aurai bien pour finir la guerre. Tous les frais que je fais, j 'achète pour 5 F de chocolat tous les 12 jours, et de temps en temps quelques bidons de vin. Les jours que nous sommes dans les tranchées, il n'y a que le chocolat qui nous tient debout. Avec tout ça nous sommes tout-à-l'heure à la fin du 6
ième mois et nous sommes toujours ici. Je commence à me décourager. Tant qu'il n'y avait pas de la neige, ça allait encore, mais tu sais, la neige me fait peur pour aller dans les tranchées, avec la neige, on a le temps de souffrir.
Cette fois, j 'ai eu de la chance, dans le temps que nous étions au patelin, il y a eu une attaque, ils ont pris trois pièces de canon et nous avons gagné une tranchée. J'ai eu de la chance de ne pas y être, il y a eu encore quelques képis de restés. C'est des postes attaqués qu'on y tient pas tant que ça d'y être. Tout ce que je demande, que quand je suis dans les tranchées ils nous laissent tranquilles. Enfin, que veux-tu, nous sommes en guerre, une fois c'est les uns qui trinquent et une fois les autres, ça fait qu'il y en a pour tous. Mais rappelle-toi que je commence à en avoir pour mon compte. C'est trop long six mois de souffrance, et dire que ce n'est pas fini...».

Louis JULIEN, à sa femme Marguerite, à Dabisse.,
le 20 janvier 1915,

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«..Je te dirai que le voyage que j'ai fait, il a été long. Nous avons passé huit jours et neuf nuits en chemin de fer, alors je pense que cette nuit je dormirai bien...».

Urbain MEYNIER, à sa femme Rose, à Dabisse.
de Wassy (Haute-Marne), le 8 mars 1915.

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«..En ce moment, je suis mal placé. Nous sommes aux tranchées depuis samedi soir, et je t'assure qu'il n'y fait guère bon. Il ne fait que pleuvoir.
(...) Celui qui souffre loin de toi...»

Fernand MAYOLY, à Augusta BOURGUE, à Lurs,
le 9 octobre 1917

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«...Tu ne peux t'imaginer ma chère Alice, le bombardement qui a en lieu hier soir vers 9 heures. Quelle rafale de mitraille, c'est terrible. Nous en avons encore échappé pour cette fois. On comprend que les boches soient en colère, car de notre côté, on leur lance un nombre très considérable d'obus dans le courant de la journée. C'est inimaginable d'entendre tout cela...».

Jean SAVIN, à sa femme Alice, aux Mées,
le 13 mars 1915.

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Hier, j 'ai pas pu t'écrire pourquoi il faut aller travailler, et il faut être à l'heure, ce n'est pas le travail que l'on fait, mais il faut y être, quand même qu'il pleuve. Deux jours qu'il est tombé de la neige, mais nous étions obligés de rester dehors, et aujourd'hui, il pleut, c'est pareil aussi, j'ai ma capote qui pèse quelque chose de ce qu'elle est mouillée...».

Urbain MEYNIER, à sa femme Rose, à Dabisse
de Saint-Dizier (Haute-Marne), le 12 février 1916,

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« ...Le canon continue à tonner très fort, mais bien loin. Les boches ont reculé et on continue à les refouler. Ces jours-ci très probablement, nous allons nous aussi avancer de quelques kilomètres, et nous avons déjà commencé à accomplir une triste besogne, nous enterrons les morts et cela ne manque pas, il faut, je crois, que nous nettoyions le champ de bataille, tel est le travail qui nous est assigné... ».

Jean SAVIN, à sa femme Alice, aux Mées,
le 2 octobre 1915.

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«...Il est 10 heures. J'étais décidé ce matin à t'écrire une bien longue lettre, mais j'en ai été dérangé encore par une énorme marmite(1). boche qui est venue transpercer les murs de la maison en face de la nôtre. Cela m'a un peu émotionné et je t'avoue ne pas être très disposé à écrire. J'étais à ce moment-là aux cabinets, et je ne sais comment l'émotion ne m'a pas fait passer les pieds dans le trou. Je suis parti la culotte à la main. Cela te fera rire sans doute, comme moi-même et tous mes camarades, l'émotion passée. Mais au moment de l'éclatement, c'était pas rigolo. Heureusement, ni morts, ni blessés.
Hier, de nouveau, la 4
ième Compagnie a souffert. Quatre tués par le même obus dont 3 sont des environs de Sisteron, 2 de Mison et 1 de Mézien. L'un était père de 4 enfants, que cela est triste. Nous dépassons maintenant la centaine entre tués et blessés...».

(1). Gros obus

Jean SAVIN, à sa femme Alice, aux Mées,
le 18 mars 1915.

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«...Hier j 'ai vu le fils JULLIAN(1), et que je croyais qu'il m'apporte de tes nouvelles, puis voilà qu'il me dit qu'il t'as pas vue, seulement ta mère. Moi qui croyais tant qu'il me donne des nouvelles puis j'en ai point. Tout ce que je sais du pays, c'est qu'il fait plus beau temps qu'ici où je suis. D'après ce qu'il me dit, que tout le monde laboure en chemise, tu peux croire qu'ici il pleut tous les jours et il fait pas chaud en même temps...».

(1) de Dabisse aussi.

Urbain MEYNIER, à sa femme Rose, à Dabisse,
le 11 janvier 1916.

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«...Je ne sais trop ce qui se passe depuis hier matin que je t'écrivais, mais c'est intenable. Jamais aussi fort qu'hier et ce matin. Sûrement il doit y avoir de tous côtés une attaque formidable. C'est à ne plus s'y entendre. Je suis certain que ce bruit du canon et surtout du 75 persistera bien longtemps dans mes oreilles. Mais le plus terrible, c'est le miaulement des obus boches qui, pendant toute l'après-midi d'hier, n'ont cessé ou de nous passer sur la tête, ou de pleuvoir autour de nous. Quelle vie terrible nous sommes obligés de mener.
Malgré cela, lorsque nous sommes tous ensemble, le soir surtout depuis 6 heures, on discute, on rit, on s'amuse sans penser aux dangers de tous les instants. Jusqu'à présent nous avons eu assez de chance car aucun d'entre nous n'a été touché, pas même par le plus petit éclat, quoique certains les aient vus de bien près, éclatement à quelques mètres seulement. C'est terrible ce que ça siffle en ce moment, et cela m'enlève toute idée, sinon celle de la guerre. Quand donc aurons-nous terminé ?...».

Jean SAVIN, à sa femme Alice, aux Mées,
le 23 mars 1915.

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«...Nous sommes en 2ième ligne et je suis dans une «cagna» (1), une cave où il ne fait pas trop mauvais, nous sommes une escouade. Un veille, quelques uns écrivent comme moi, un tout près de moi lime une bague et un autre fait un briquet car ici tout le monde travaille pour faire passer le temps, qui à une chose, qui à l'autre. Ce soir, vers 11 heures, nous monterons pour 24 heures en première ligne, puis de là en troisième pour 24 heures aussi...».

(1) Abri souterrain dans la tranchée.

Armand FAURE, à sa femme Marie, à Bénévent,
des tranchées, le 29 septembre 1915, 3 h du soir.

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«...Triste bilan de la journée du samedi 27 mars. Deux tués, 11 blessés dont un très grièvement à l'abdomen, et qui peut-être est décédé à l'heure où je t'écris. Ils sont tous des alentours de chez nous. Les deux tués, l'un est de Sisteron et l'autre de Manosque. Quand donc en verrons-nous la fin ?...».

Jean SAVIN, à sa femme Alice, aux Mées,
le 28 mars 1915.

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«...Ce soir nous avons travaillé un peu, c'est-à-dire qu'à l'occasion de la Toussaint, nous avons voulu arranger, embellir un peu les tombes qui se trouvent dispersées ça et là dans les champs ou dans les bois. Nous en avons arrangé quelques unes ce soir avec les infirmiers. Demain, nous irons dans le bois, où il y en a, paraît-il, qui ne sont pas du tout entretenues. Nous irons les arranger un peu...».

Armand FAURE, à sa femme Marie, à Bénévent,
le 30 octobre 1916.

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«...Hier, le fils du Dr BERNARD, de Forcalquier, a été tué. Il était médecin auxiliaire au 55ième. Il a été mis en bouillie par un obus, ainsi qu'un sous-officier blessé qu'il soignait. Ce matin, comme hier, canonnade sans discontinuer. Quand donc cela sera-t-il terminé? Les oreilles m'en sifflent...».

Jean SAVIN, à sa femme Alice, aux Mées,
le 16 juin 1915.

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«...après avoir fait une étape de 23 km avec la neige qui tombait sur le dos, heureuse-ment que je suis habitué à la dure, car depuis que cette vie dure, toujours mal couché, jamais se déshabiller, et surtout toujours dans le même pastis, ce serait pourtant le moment que cela finisse...»

Eugène ROUIT, à Julie JULIEN, sœur de Rose et de Louis, à Dabisse,
le 21février1915.

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«...Depuis avant-hier soir, nous avons une canonnade très intense, et au moment où je t'écris, le 75 me casse les oreilles...».
«...Quand donc aurons-nous terminé ce pastis ?...».

Jean SAVIN, à sa femme Alice, aux Mées,
le 18 avril 1915 et le 29 juin 1915.

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«..Je monte ce soir en ligne et je pense que ça va chauffer, du moins je le crois...».

Urbain MEYNIER, à sa femme,
le 13 août 1918

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«...C'est sous une pluie de mitraille que je vous adresse ces quelques mots. Depuis cette nuit 3 h, les boches nous arrosent et ils doivent contre-attaquer à Bagatelle(1) probablement pour nous reprendre ce qui leur a été enlevé ces jours-ci et hier particulièrement. Je ne vous en dis pas plus long, vous devez vous imaginer dans quel état je suis...
Je vous remercie beaucoup de vos vœux et bons souhaits pour ma fête. Je n'y ai guère songé.
Quand donc nous reverrons-nous? Si toutefois nous nous revoyons.
Il pleut, et cela contribue à nous donner le cafard...».

(1)En forêt d 'Argonne, 5 à 6 km à l'ouest de Varennes.

Jean SAVIN, à sa mère, aux Mées,
le 30 juin 1915.

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«...Tout ce que je peux te dire, que si j 'ai le bonheur d'aller en perme, tu pourras tenir une marmite prête pour m'ébouillanter, pourquoi le jour où je partirai en perme, je pourrai pas me laver, pourquoi on peut pas trouver de l'eau...».

Urbain MEYNIER, à sa femme Rose, à Dabisse,
le 4 octobre 1918.

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«...Ce soir, je coucherai sur un sommier..., quant à me déshabiller, n'en parlons pas, j'en ai perdu l'habitude complètement, puisque je ne l'ai plus fait depuis le 29 janvier, et qui sait pour combien de temps en sera-t-il encore ainsi ?...».

Jean SAVIN, à sa femme Alice, aux Mées,
le 7 mars 1915.

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«...Non, je ne me suis plus déshabillé depuis mon départ. J'ai seulement changé deux fois de chemise et trois fois de chaussettes...».

Jean SAVIN, à sa femme Alice, aux Mées,
le 17 mars 1915.

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«...Il est de très bonne heure, 5 h du matin et depuis plus d'une demi-heure déjà, j'ai sauté du sommier où je m'allonge, la toilette et l'habillage est bientôt fait, on se boutonne la culotte, on met les molletières et nous voilà prêt...».

Jean SAVIN, à sa femme Alice, aux Mées,
le 29 avril 1915.

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«...Enfin, je suis toujours sur les routes à traîner ma vieille peau pas trop chère, à entendre siffler de temps en temps les obus, les balles et tout le fourbi. Mais j 'ai toujours eu le bonheur qu'elles sont toutes aveugles, qu'elles ne m'ont jamais aperçu. Oh ! et puis vous savez, je les vois venir, j'ai comme le père AMAYON, je les repousse avec la main. Enfin, plus de bêtises, en attendant que mon patron me signe une permission pour aller vous aider à oliver...».

ARNOUX, un ami, à Rose MEYNIER, à Dabisse,
le 5 décembre 1914.

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Et Eugène, lui qui était habitué au beau temps, puis tout en un coup se voir tomber la pluie, il souffrira davantage, on lui avait bien promis qu'on l'envoyait à Chaumont, mais c'est tout le contraire, on l'a envoyé sur le front. La pauvre Claire, quand elle aura appris que son mari est là-haut, elle en aura pour se faire du mauvais sang avec ses quatre petits...».

Urbain MEYNIER, à sa femme Rose, à Dabisse,
de Wassy (Haute.Marne), le 16 février 1915.

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«...Je te dirais que nous sommes dans un pays que nous prendrons pas la cuite, pourquoi on trouve même pas de l'eau, c'est rien que de l'eau de pluie, il y a ni fontaine ni puits, alors encore moins du pinard, enfin malgré ça, l'on est mieux qu'en ligne, l'on est plus tranquille...».

Urbain MEYNIER, à safemme Rose, à Dabisse,
le 22 septembre 1918.

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«...Tu me dis que Christophe(1) doit arriver en perme un de ces jours pour aider à moissonner, qu'il a demandé à devancer son tour, et tu me demandes si je ne pourrai pas en faire autant. Je te dirais que les permes c'est une chose sacrée, si pour une chose ou une autre tu te débrouilles à partir avant ton tour, tu prends la place d'un camarade qui ne languit pas moins de revoir les siens que toi, et qui peut-être ne les reverra plus par ta faute. Car les tours sont faits, et il faut qu'il y en ait qu'un tant dehors 5%, donc à moins d'un cas exceptionnel, on ne doit partir qu'à son tour. Sûrement, si tu es d'accord avec un camarade, tu peux le faire, tu pars à sa place et il part à la tienne, vous pouvez des fois pour cela vous être rendu service tous les deux. Mais à part cela, c'est une chose délicate que de se faire partir à la place d'un camarade et l'empêcher d'y aller lui...».

(1) Christophe EYRAUD, un voisin, également sur le front.

Armand FAURE, à sa femme Marie, à Bénévent,
Le 11 août 1916.

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«...En ce temps déjà loin (du service militaire), je me plaignais(1), je trouvais le métier absurde, pénible et je me plaignais en attendant le jour de la libération qui était si beau en ce temps là. Mais qu'était cela à comparer au temps où nous sommes ; qui m'aurait dit qu'après que j 'aurais eu ce que je désirais au régiment : la classe, le foyer, une femme si bonne, des enfants si aimables, au moment où tout allait pour le mieux pour nous, qui m'aurait dit qu'il m'aurait fallu quitter tout cela pour faire deux ans encore, mais quels deux ans?
Ce n'est plus la caserne où on se plaignait, et quand aux manœuvres on couchait sur la paille, ou deux ou trois jours sur une paillasse, il fallait nous voir crier. C'est maintenant qu'on voit que nous en avions trop. Maintenant la paillasse n'est pas trop dure, quand on en a une, on est content, quant à la paille, elle est plus souple puisqu'elle manque.
Les manœuvres ne sont pas des grimaces, on n'a plus un copain devant soi avec un fusil chargé à blanc, on ne s'amuse plus, non, Fritz guette de son œil mauvais, gare qui se fait voir, adieu femme, enfants, parents, fiancée, au revoir, mais pas en ce monde. Non, ce n'est pas la même chose, il faut vivre comme des renards dans des terriers, manger quand on peut, boire idem, tout seul, loin de tous ceux qu'on aime et qui pourraient vous rendre heureux, non ce n'est pas cela. On moisit dans un trou humide, quand on a là-bas un foyer agréable, on s'engourdit, on s'esquinte quand on pourrait travailler à son aise et pour quelque chose, pour un but. On tue, on se massacre comme ne feraient pas des lions affamés, on souffre d'être tout seul, seul malheureux, quand au contraire on pourrait avoir quelqu'un qui vous aime, des petits qui vous égaient l'âme, des parents à qui on serait heureux de rendre les peines moins dures.
Non, à tout cela il ne faut pas penser pour le moment. Ah! Si, comme tu dis, on n'avait pas un peu d'espérance, quelque chose qui nous soutienne, comme on serait malheureux.
Je me plains, chère Marie, tout seul, je ne fais pas attention que vous aussi vous souffrez, et plus que moi, excuse-moi et ne fais pas attention...».
Armand FAURE, à sa femme Marie, à Bénévent,
le 31 juillet 1916.

(1) Ce même Armand FAURE, alors qu'il effectuait son service militaire à la caserne de Gap, écrivait le 8 avril 1911, à sa fiancée, Marie GONSOLIN:

«... Ici, on trouve le temps bien long, on languit, on attend le 23 septembre avec impatience, car ce sera le jour de la liberté. Je sais bien, on aura toujours des ennuis puisque la vie est un combat, mais au moins on sera au milieu des siens, au milieu de ses parents, on ne sera plus commandé par des gens qui vous prennent pour des esclaves, pour des créatures plus basses qu'eux et qu'en vérité il y en a qui ne savent pas même mettre leur nom sur un bout de papier et qui viennent au régiment pour faire souffrir leurs frères. Enfin, j'espère que ce jour viendra où on pourra leur dire : nous avons accompli notre devoir, nous sommes libres. Nous irons dans nos foyers pour aider nos parents, pour les encourager et les consoler si nous le pouvons...».

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« Ce qui m'a fait le plus de peine depuis le début de la Campagne, C'est de voir un homme au poteau d'exécution. J'ai fait partie du peloton chargé de le conduire et je vous assure que cette mort m'a profondément ému, et ce sera, je crois, le plus triste souvenir que je rapporterai de la guerre, si Dieu me conserve la vie jusqu'à la fin. J'ai vu la mort de près ; j'ai vu mourir des camarades dans d'affreuses agonies, mais aucune ne m'a produit autant d'impression que celle de ce pauvre malheureux qui, pour un moment d'égarement, a été attaché à un poteau et fusillé. Je crois que, si j'avais été désigné pour tirer, je n'en aurai pas eu le courage. »

Abbé BOURILLON, curé d'Eoulx, soldat.
Récit dans «La Semaine Religieuse » du Diocèse de Digne, le 7 janvier 1915.


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