Les Amis des Mées
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LA MINE

C'est par ce terme qu'est désigné depuis toujours ce premier tunnel. "Mine" en provençal signifie tunnel, galerie horizontale.

Le vallon de la Combe qui traversait la ville des Mées, occasionnait, à chaque orage, des dégâts plus ou moins conséquents par ses débordements. Débordements qui ne se produisaient guère que depuis le début du XVIIIème siècle car le déboisement avait été sévère sur les versants de ce vallon. La communauté cherchait des moyens d'empêcher ces dévastations, que n'arrivaient plus à contenir les murs-digue, les barrages en planches que l'on avait construits, et qui de plus coupaient la ville en deux.

C'est dans cette détresse qu'est née l'idée de percer le rocher pour dévier les eaux envahissantes. "Une entreprise qui intéresse si essentiellement la sureté et la conservation de la fortune et de la vie des habitants de cette ville, ( ... ) que le salut de cette ville est lié à l'entière exécution de ce projet. " (D.C.M. 21.3.1782).

C'est le 6 septembre 1778 que Benoît SALVATOR présente ce projet devant le conseil municipal qui donne son accord pour cette entreprise. Les travaux sont considérables pour une petite commune comme Les Mées, la communauté demande une aide à l'Assemblée des Etats de Provence. Aide accordée en décembre 1780 après de nombreuses démarches et sollicitations soutenues par Benoît SALVATOR.

L'ingénieur de la province est chargé de relever le plan du torrent. L'année 1781 est employée à étudier et préparer les tracés, à rechercher et désigner le lieu où la mine va être ouverte, à déterminer son orientation, ses dimensions, le tout sous la direction d'André FERAUD architecte de la ville de Castellane résidant à Aix et de BONARD l'ingénieur de la province (D.C.M. 17 mai 1781). Des essais de percement sont réalisés, concluant que l'entreprise est possible " le rocher est extrêmement dur et solide, le pétard y fait le plus grand effet." (D.C.M. 27-12-1781)

L'enthousiasme de la majorité des habitants est grand, "on portait à l'envi aux ouvriers mineurs, du vin, des fruits et des rafraîchissements." (ESMIEU p. 471) Cependant certains habitants, appelés les "anti-trous" s'opposent à cette réalisation, pensant que la communauté va se ruiner et orchestrent une campagne contre ce projet. Malgré leur persévérance, ils n'ont pas gain de cause.

Le percement est commencé côté sud (côté vallon de la Combe) en 1782. Les travaux avancent lentement. André FERAUD, l'architecte, abandonne et confie la tâche aux ouvriers mineurs qu'il a embauché. Ils sont six à prendre cette responsabilité: Jean Baptiste MAILLET, Jean Baptiste FAITENER, Jean VINKLER, Antoine MARTIN, César MAURICE, Jean ROUBAUD (Esmieu p. 471). En janvier 1783 le percement s'active, et progresse à un rythme soutenu. Le matériel utilisé par les mineurs se compose " de quatre grosses équilles de mine, un gros bourroir de mine, une grosse cuillier de mine, une grosse lumière de mine, douze pistolets, quatre bourroirs de pistolet, trois petits cuilliers pour le pistolet, trois lumières de pistolet, quatre marteaux pour les pistolets, deux pies, une bourre, un levier, une petite équine pour faire les mêches, une pèle et une pioche, le tout du poids de 253 livres" (env. 125 kg) (D.C.M 22-12-1782)

En octobre 1783, 30 toises (60 mètres) sont percées, soit un peu moins de la moitié du parcours. "L'explosion des pétards chargés à poudre, étaient en effet si terrible, et la détonation si forte, que des quartiers de rocher très lourds et très volumineux étaient lancés à des distances considérables et qu'on entendait distinctement le bruit, des villages circonvoisins, comme celui d'un coup de canon, surtout dans le silence de la nuit. A mesure que le travail de la mine avançait dans l'intérieur du rocher, les mineurs pratiquaient des espèces de redoutes sur les côtés pour s'y mettre à l'abri des éclats du pétard après avoir mis le feu à la mèche." (Esmieu p. 472)

Le 22 janvier 1784, alors que la longueur du tunnel atteint environ 40 toises (80 mètres), après l'explosion d'un pétard, une source s'écoule dans la galerie. "Cette eau venait d'une fontaine qui coulait de temps immémorial dans le fond d'une grotte ou caverne supérieure à la mine de huit mètres environ et connue sous le nom d'Engarret. Cette fontaine était d'une qualité excellente et jaillissait du rocher même, tarit tout à coup." (Esmieu p. 475)

Pour éviter l'accumulation de cette eau dans la mine, quatre hommes se relaient (deux la nuit, deux le jour) pour l'évacuer à l'aide de cornues et "pour éprouver si cette source ne tarirait pas d'elle même." (D.C.M. 2-2-1784) Mais elle ne tarit point et le travail ne peut plus s'effectuer dans de bonnes conditions. Il est alors décidé après bien des palabres d'attaquer le tunnel par l'autre bout, côté nord, près du moulin. La partie du tunnel déjà percée et délaissée pour l'instant a pour dimensions : 16 pans (4m) de large, 12 pans (3m) de haut, sur une longueur de 19 toises 4 pieds (40 m) avec une pente de 10 pouces (28 cm) par toise (2m), puis se rétrécit et les 20 toises (40m) restantes ont 12 pans (3 m) de large, 9 pans (2,20 m) de haut avec une pente de 14 pouces (40 cm) par toise.

Pour atteindre le niveau de départ du percement, il faut enlever une grande quantité de terre (9 m de haut) et ce n'est qu'en juin 1784 que les travaux de creusement reprennent. Pour indiquer la direction des " piquets et signaux " sont plantés dans la plaine servant à viser "une bigue qui est sur le sommet du rocher, moyennant quoi il est assuré que les deux mines se rencontreront parfaitement". (D.C.M. 2-2-1784). Du côté nord, la pente sera de 18 pouces (50 cm) par toise (2m). Les travaux progressent correctement. Vers le 17 octobre 1784, 21 toises (42 m) sont percées. Il ne reste alors guère plus d'une toise et demi (3 m). Mais l'eau accumulée dans la mine supérieure suinte au travers du poudingue, mouille la poudre des pétards qui n'explosent plus. Le chantier se reporte alors côté sud. Il faut enlever toute l'eau retenue dans la galerie. Ce sont 849 cornues de 2 coupes (environ 40 1), soit quelques 33.960 litres qui sont évacués. Deux hommes, nuit et jour assèchent l'eau et les pétards peuvent être à nouveau utilisés.


AQUEDUC DE LA MINE
Au dessus, dans le rocher, anfractuosité de la croix

Le 27 octobre 1784 vers 2 heures de l'après-midi la jonction est faite. "Le bruit de cette heureuse nouvelle se répandit sur le champ dans toute la vine et la joie fut universelle. Toutes les cloches furent mises à la volée. On fit battre la caisse et sonner la trompette dans toutes les rues. On n'entendait partout que ce cri: "la mine es persade ": la mine est percée. Des groupes nombreux d'habitants se livraient à la gaieté, en chantant et en dansant par la ville. Le reste de cette journée fut consacré à la joie et aux divertissements. Un repas solennel donné chez le maire, et composé de convives partisans de la mine, termina cette fête publique, à laquelle l'universalité des habitants prit part." (Esmieu p. 477) Le point de jonction se remarque encore aujourd'hui, car il subsiste entre les deux portions de galerie une différence de quelques décimètres.

Les rochers sont enfin vaincus, mais ils ont coûté outre l'argent, beaucoup de soucis, de peines, de douleurs et la vie d'un homme. En effet lors de l'explosion d'un pétard, César MAURICE et Antoine MARTIN sont blessés, le premier a la jambe fracassé et meurt des suites de sa blessure, le second moins gravement touché se rétablit. Il est très difficile de connaître le nombre de personnes qui ont travaillé à cette oeuvre. Outre les six mineurs spécialistes, de très nombreuses journées "d'hommes et d'enfants" ont été employées à sortir les gravats, déblais, et l'eau.

Les Méens, avec cette mine, croyaient bien en avoir fini avec les problèmes du vallon de la Combe. Il fallut encore faire d'importants travaux: terrassement, aqueduc, barrages... pendant plus de deux années. Tout cela a coûté fort cher, a endetté considérablement la communauté pour une efficacité très relative. Ce n'est que plus d'un siècle plus tard, grâce au reboisement que les eaux de la Combe ne dévasteront plus la ville.

Finalement, ce n'est pas la mine qui, comme prévu, a sauvé Les Mées des inondations, mais ce sont les arbres.... plantés lors des grandes campagnes de reboisement dans la deuxième moitié du XIX ème siècle.

Nota :
1 toise 6 pieds = 8 pans = 2 m (1,949 m)
1 pied = 33 cm
1 pan = 25 cm
1 pouce = 2,8 cm
1 coupe = 20 litres environ
1 livre = 500 grammes environ


Lieux Magiques et Sacrés de France


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