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Mais si le calme régnait au dehors, les sociétés secrètes profitaient de la nuit pour délibérer : elles se déclaraient en permanence, rédigeaient leurs plans. Privées de leurs chefs, sentant que les ouvriers ne tenaient point à recommencer la guerre de barricades à laquelle ils n'avaient jamais rien gagné, ces sociétés s'agitaient, sans grand espoir de succès. Les représentants de la Montagne, chefs du mouvement, écrivaient, faisaient imprimer par des presses clandestines des proclamations conçues dans les termes les plus violents. Le 3 décembre, on put lire ces billets, ces proclamations affichées en secret et signées de Schœlcher, de Jules Favre, de Michel de Bourges et surtout de Victor Hugo.
Les partis monarchiques ne restaient pas inactifs : ils excitaient à l'émeute : aveuglés par la passion ils appelaient une bataille qui, gagnée, leur eût coûté plus cher que la défaite. On vit constamment dans les groupes menaçants des hommes bien mis et bien gantés engager le peuple à se soulever, et distribuer de l'argent. Mais le peuple ne les écoutait pas. On résolut alors de commencer la lutte à quelque prix que ce fût : on comptait, pour entraîner les masses, sur l'excitation que produit le combat et les victimes qu'il fait.
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Haute cour de justice.
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Mort du réprésentant Baudin sur la barricade
3 décembre 1851.
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On chercha d'abord à soulever les faubourgs, et, à huit heures du matin, des attroupements armés s'établissent au faubourg Saint Antoine. Mais presque aussitôt arrive la brigade Marulaz, qui prend position sur la place de la Bastille, occupe les maisons situées aux angles des rues, et met en batterie trois obusiers à l'entrée du faubourg. De ce côté quatre représentants sont à la tête des insurgés, ce sont MM. Baudin, Esquiros, Madier de Montjau et Schœlcher. Revêtus de leurs insignes de représentants, ils dirigent la construction de barricades au coin des rues de Colte et de Sainte-Marguerite. Trois compagnies du 19ième léger, conduites par le commandant Pujol, s'élancent sur ces barricades. Baudin s'adresse aux soldats, leur parlant de la constitution violée, de la déchéance du Président et les adjure de ne pas tirer. Le commandant répond en sommant les insurgés de se disperser. Un coup de feu part de la barricade et tue un soldat à ses côtés. Aussitôt le commandant ordonne une décharge générale, et Baudin tombe frappé d'une balle au front. Les insurgés prennent la fuite ainsi que les autres représentants. Le corps du représentant Baudin, transporté à l'hôpital Sainte-Marguerite, fut remis le lendemain à sa famille. Madier de Montjau était, quelques instants après, blessé à une barricade du boulevard Beaumarchais.
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Le faubourg ne tenant pas et ne voulant pas tenir, l'insurrection transporta son quartier général au centre de Paris, entre les rues du Temple, Saint-Martin, Saint-Denis. Elle donnait ainsi la main à l'agitation plus bruyante que courageuse des quartiers et des boulevards élégants. A Tortoni, au café de Paris, on discutait beaucoup, on lisait des proclamations de déchéance, mais on se dispersait devant la troupe tout en essayant de détourner les soldats de l'exécution de leurs ordres. Lorsqu'on vit les socialistes excités par les partis monarchiques commencer le combat, le ministre de la guerre publia une proclamation invitant les habitants à demeurer chez eux : «Pas de curieux inutiles dans les rues, disait-il, ils gênent les mouvements des braves soldats qui vous protégent de leurs baïonnettes.» Il fit afficher en même temps un arrêté qui appliquait dans sa cruelle rigueur l'état de siége : «Tout individu pris construisant ou défendant une barricade ou les armes à la main sera fusillé.» De leur côté, M. de Maupas et M de Morny publiaient des arrêtés sévères sur les attroupements.
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Aspect des boulevards le 2 décembre.
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«Toutes les heureuses aptitudes d'esprit et de caractère de M. le comte de Morny, dit M. Véron, rencontrèrent une occasion de se manifester dans cette situation suprême qu'il eut à diriger, qu'il domina par son courage, par sa netteté, par sa modération. Je n'oublierai jamais les recommandations pleines de sagesse pratique, de prompte décision faites de vive voix en ma présence par M. de Morny pour qu'elles fussent transmises au ministère de la guerre et au général Magnan. Voici ce qu'il écrivait au général :
«Paris, 3 décembre 1851.
Mon cher général,
Je vous répète que le plan des émeutiers est de fatiguer les troupes pour en avoir bon marché le troisième jour. C'est ainsi qu'on a eu 27, 28, 29 juillet, 22, 23, 24 février. N'ayons pas 2, 3 et 4 décembre avec la même fin. Il ne faut pas exposer les troupes, les faire entrer et loger dans les maisons. Avec peu de troupes, à chaque angle de rue, aux fenêtres, on tient tout un quartier en respect. J'ai rencontré bien des petites patrouilles inutiles. La troupe sera sur les dents. En la faisant coucher chez des particuliers, elle se repose et elle intimide tout le quartier. On me paraît suivre les vieux errements. Les vivres sont indignement servis : on pille des vivres.
Je vous livre ces réflexions. Il n'y a qu'avec une abstention entière, en cernant un quartier et le prenant par famine, ou en l'envahissant par la terreur qu'on fera la guerre de ville.
Signé MORNY».
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M. de Morny, toujours calme et souvent railleur, jugeait parfaitement la situation : il savait à peu près exactement la force de la résistance qu'il avait à vaincre, résistance qu'entretenaient surtout de faux bruits semés à dessein par les malveillants.
Dans la journée du 3, ce ne sont guère que des promenades tumultueuses d'insurgés, des essais de barricades. Mais les régiments ne peuvent nulle part joindre l'ennemi qui ne se sent pas en force. Ce ne sont donc que des escarmouches dans les rues de Rambuteau, dans le quartier des Halles, au Carré Saint-Martin. L'imprimerie Nationale, un moment serrée de près, est bientôt dégagée. Le soir, à huit heures, deux hommes furent tués rue Aumaire. C'est ce que voulaient les émeutiers. Ils essayèrent de renouveler la promenade nocturne de février. Ils prirent les deux cadavres et se mirent en marche, éclairés par des torches. Mais, rue des Gravilliers, le sinistre cortège rencontra une escouade de vingt sergents de ville commandés par le brigadier Revial. Malgré la disproportion du nombre, les sergents de ville se précipitèrent l'épée à la main contre la foule qui suivait les cadavres, la dispersèrent et poussèrent les plus obstinés jusqu'à un bataillon de chasseurs qui en conduisit cent deux à la Préfecture.
Château de Ham.
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Le reste de la nuit fut tranquille : les rues étaient libres et l'on en profita pour transporter à Ham les généraux Changarnier, Cavaignac, Lamoricière, Bedeau, le Flô, le colonel Charras, MM. Baze et Roger (du Nord). Le matin du 4 décembre, on comprit qu'on allait enfin avoir une bataille. Les sociétés secrètes avaient décidé de tenir encore un jour pour donner le temps aux mouvements des provinces d'éclater.
Suite : Chapitre 7 - Lutte du 4 décembre.
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